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Aéroport international de Newark
Samedi, 8 heures
Dark prit place près du hublot en s’efforçant de reprendre son souffle. Il avait sauté dans le premier vol disponible pour Los Angeles, à 8 h 20, et il faisait appel à toute sa logique.
Sqweegel a reçu une balle il y a quelques heures. Tu l’as vue l’atteindre. Qui que ce soit qui se dissimule sous ce masque, il ne va pas prendre un vol commercial avec une blessure. Tu auras retrouvé Sibby avant même qu’il soit arrivé à Los Angeles.
Pourquoi se sentait-il si oppressé, alors ? Pourquoi son cœur battait-il si fort ?
Parce que la logique n’était pas de mise. Elle ne l’avait pas aidé à trouver Sqweegel auparavant, elle ne lui servirait pas davantage maintenant. Parce que le monstre continuait de le hanter dans sa tête.
« Comment va-t-elle ? Comment va mon petit bébé ? »
L’équipage passa la cabine en revue : l’avion allait décoller. Dark jeta un coup d’œil à son mobile. Il venait d’envoyer un texto à Riggins pour demander s’il y avait du nouveau et il attendait la réponse.
Pas d’inquiétude. Elle est en sécurité. Riggins s’en occupe. Tu lui as toujours fait confiance, pourquoi cesser maintenant ? Pourquoi cette boule glacée dans la poitrine ? Pourquoi cette envie de prendre les commandes de cet avion pour arriver plus vite sur cette fichue côte ouest ?
Un texto arriva juste au moment où une hôtesse qui paraissait trop grande pour cet avion passait à côté de lui.
— Excusez-moi, monsieur, je vais devoir vous demander d’éteindre votre mobile en prévision du décollage.
Dark regarda l’écran. Le message n’était pas de Riggins, mais d’un numéro inconnu. Il appuya sur O.K.
— Monsieur ?
Il eut du mal à comprendre l’image. Du sang, des points de suture… sur une épaule humaine. Mais où ? Le sommet du bâtiment à l’arrière-plan lui parut familier. Les lettres ences se détachaient en blanc sur le mur. urgences.
L’hôpital Socha.
Oh, putain.
— Monsieur, vous m’entendez ?
— Fermez-la.
Dark appela Riggins, tomba sur la boîte vocale et lui débita tout d’une traite.
Hôpital Socha, Los Angeles
Trente minutes plus tard
Riggins suivait l’équipe en civil tout en parlant dans l’émetteur planqué dans sa manche.
— Sujet en mouvement. Ascenseur arrière. Attendez. Quand, soudain, sans raison, l’éclairage clignota et s’éteignit.
— Nous n’avons plus de lumière dans toute l’aile des urgences, lança Riggins. Qu’est-ce qui se passe ?
Un déclic, puis un bourdonnement. Les générateurs de secours s’étaient mis en marche. La lumière jaune revint.
— Avancez. On doit la faire sortir d’ici.
Riggins ignorait s’il s’agissait d’un hasard, d’une panne comme il en arrive souvent en Californie, ou pis. Mais il n’avait pas le temps de chercher plus loin. Il devait mettre Sibby à l’abri et informer Dark.
Le plus réconfortant, c’est que Sqweegel semblait finalement humain. Dark avait touché cette petite saloperie à Manhattan, et désormais ils détenaient un minuscule échantillon de son sang, qui était en route pour la salle de crise de la DAS à Los Angeles. Cela leur révélerait probablement peu de chose… mais c’était déjà ça. Cela prouvait que ce malade était mortel, et non pas quelque créature surnaturelle bien décidée à leur pourrir la vie. Cela suffisait à redonner à Riggins ce qui lui manquait depuis longtemps : de l’espoir.
Surtout maintenant que Sibby était sous la garde vigilante de trois agents en civil choisis personnellement par Riggins. Ils allaient l’escorter jusqu’à une autre planque, là encore choisie par ses soins et connue de lui seul, où elle resterait sous bonne garde jusqu’à ce que tout soit terminé.
Pour la première fois, il entrevoyait le bout du tunnel. Il l’avait même dit à Wycoff, qui avait paru soulagé, puis enthousiaste, lui promettant tout le soutien qu’il lui faudrait à New York. Riggins lui avait répondu qu’il le tiendrait au courant.
Il regarda ses hommes charger Sibby dans l’ambulance. Deux montèrent à l’arrière et le troisième referma les portes avant de s’installer au volant.
Le plan était simple : Riggins les précéderait sur la 405 puis la 118, jusqu’à la maison de Simi Valley. Cet endroit n’avait aucun lien direct avec lui, Dark ni quiconque de leurs connaissances. Les gardes de Sibby ignoraient où ils allaient. C’est d’ailleurs pour cela que Riggins les accompagnait.
Après quoi, Dark rentrerait, et ils régleraient son compte à ce salaud une bonne fois pour toutes.
On a un peu de ton sang, petit connard. Et dans peu de temps on aura ta peau.
La patiente ouvrit les yeux et sursauta, éblouie par les gyrophares de l’ambulance.
— Tout va bien, madame Dark, lui dit l’ambulancier. Nous vous emmenons en lieu sûr et votre mari va venir vous retrouver.
Elle hocha la tête et s’assoupit de nouveau.
Il se pencha vers le placard métallique et sortit quelques bandages au cas où les points de suture céderaient avec les secousses. C’était une drôle de mission. L’ambulancier se targuait de ne jamais sortir du comté de Los Angeles, et voilà qu’il était en route vers Simi Valley – non, mais vraiment ! – avec deux agents fédéraux à l’arrière, en compagnie de la patiente, qui parlaient à voix basse et l’ignoraient totalement. Au moins, il était payé en heures sup’. Deux heures de route dans les embouteillages, puis les infirmières prendraient le relais. Peut-être serait-il rentré à temps pour voir le match à la télé.
Il jeta un autre coup d’œil à sa patiente et se baissa de nouveau vers le placard. Bizarre. Les bandages n’étaient plus rangés de la même manière.
Soudain, ils se mirent à bouger.
Il crut à une hallucination. Il n’y avait aucune raison pour que les bandages soient dotés de deux yeux noirs et vides. Non. En fait, c’était juste un reflet sur la porte du placard en acier chromé…
Il lui sembla entendre un léger déclic et sentir gicler un liquide juste après que deux bras blêmes lui eurent saisi les tempes et tourné la tête d’un coup sec. Alors qu’il sombrait dans un trou noir, il eut juste le temps de comprendre qu’il venait d’entendre ses cervicales trancher ses deux artères carotides.
Sibby se réveilla alors que l’ambulance était secouée en passant sur un nid-de-poule. Du moins est-ce ce qu’elle pensa, car quelque chose de lourd venait de s’effondrer derrière elle. Elle entendit le bruissement rassurant des roulettes de la civière sur le goudron. Riggins lui avait expliqué ce qui allait se passer, mais elle avait l’impression d’être dans un rêve cotonneux. Ce qui comptait le plus, c’était que Steve soit en route. Il était parti quelque part, une mission importante, mais il allait revenir.
Il y eut un claquement métallique sous la civière, mais Sibby pensa que cela aussi, c’était normal.
Jusqu’au moment où une main apparut et lui plaça un masque sur le visage.
Deux lanières se resserrèrent, le maintenant en place.
Sibby leva la main et sentit l’aiguille de sa perfusion s’arracher. Elle griffa le masque en plastique, mais elle avait les doigts tout engourdis. Pourquoi avait-elle tant de mal ? Bon sang, voilà que ça recommence et que je n’arrive même plus à faire un geste aussi simple que reti…